Cessons de faire l’autruche !

I

En janvier 2017, la profession a été sortie de sa torpeur par une grève universitaire sans précédent dans l’histoire de nos facultés. Durant 3 mois, les étudiants soutenus par leurs enseignants ont engagé un bras de fer avec le gouvernement afin d’empêcher la mise en place d’un règlement arbitral faisant suite à l’échec des négociations. Cet élément déclencheur a montré la voie à des milliers de praticiennes et praticiens libéraux. A l’appel de la FSDL et de l’UNECD, ils se sont rassemblés aux côtés des étudiants le 27 janvier 2017 devant la CNAM,  puis le 3 mars, avec l’ensemble des acteurs de la profession, devant le Ministère de la Santé, exprimant ainsi leur mécontentement.

Certains se sont montrés déçus  de ne voir qu’une dizaine de milliers de personnes mobilisée pour l’occasion et ils avaient raison.  Pour autant nous n’avons pas le droit de baisser les bras, car nos adversaires n’attendent et ne misent que sur une seule chose, notre découragement.

En lisant les derniers communiqués des représentants de la profession, nous devons vous avouer que nous sommes très inquiets.
Comment ne pas l’être en découvrant  que finalement, à la vue de la conjoncture actuelle difficile, cette proposition de convention ne serait « pas  si mal que ça » et contiendrait des avancées notables en matière de prévention et valorisation des actes conservateurs sinistrés depuis 30 ans. Que le pire serait de ne pas signer car tous nos honoraires pourraient être fixés par un état totalitaire qui ne reculerait pas devant l’annihilation du caractère médical de notre profession pour nous transformer en simples prestataires de soins et « équipementiers » de prothèses.

Au delà de la menace inacceptable qui fausse toute possibilité de négociation sereine à 48 heures du coup de sifflet final, je crois me souvenir de la mobilisation via leur CCDelis de chaque consoeur, de chaque confrère,  pour lutter contre un règlement arbitral inique. Où est passé l’esprit de révolte ? Où est passée cette volonté de mobiliser chacune et chacun d’entre nous, étudiants et praticiens en exercice pour dire NON à un chantage honteux ? Voyons les choses en face, cette convention n’est pas différente du RA. 

Il y a une certaine forme d’innocence qui est en train de s’installer, doucement et sûrement. Une petite musique jouée chaque jour et qui résonne dans nos tympans pour nous convaincre que finalement:

  • Le RAC zéro est une chance pour nos patients car ils ne seront plus édentés.
  • Les plafonds ne sont pas si bas et la profession a toujours su s’adapter aux contraintes diverses, tant pis pour ceux qui rêvaient d’un exercice libre, soucieux de respecter une certaine éthique.
  • Les chirurgiens dentistes n’ont jamais fait « pleurer dans les chaumières » donc toute contestation s’avérera inutile contre un projet gouvernemental inéluctable. Même les cheminots se heurtent au mur Macron de l’indifférence.
  • Il nous reste encore quelques espaces de liberté avec des actes en dehors des paniers, voir même des activités comme l’implantologie, la parodontologie  et l’orthodontie.

Mais qu’en est il réellement ? Que va-t-il se passer dans les années à venir pour celles et ceux qui ont choisi ce métier par vocation ?

L’histoire est, hélas, un éternel recommencement et les leçons du passé ne semblent pas avoir été retenues.
Le plafonnement des soins il y a 30 ans a insidieusement orienté nos pratiques vers une dentisterie de plus en plus mutilante. Le trio magique « endo/ inlay core/couronne » auxquel les chirurgiens dentistes sont ” très très attachés”, dixit un cadre syndical tristement célèbre va,  plus que jamais, devenir la norme indispensable pour équilibrer nos cabinets avec, de surcroît, des honoraires revus à la baisse, ce qui n’augure rien de bon quant aux critères de qualité et d’indication.
Et que dire de ce qui nous attend quand le gouvernement Macron va lancer son plan de « com » à un an des élections présidentielles sur le fameux RAC zéro pour tous les français. Imaginez un seul instant les dégâts financiers dans l’équilibre de nos cabinets dentaires dûs aux multiples reports de toutes les prothèses à l’approche d’une telle mesure. Quel patient serait suffisamment stupide pour entreprendre le moindre travail de réhabilitation prothétique à 1 ou 2 ans de la mise en place de la « gratuité prothétique pour tous »?

Faut-il être innocent pour croire que nous nous  rattraperons par la suite avec une sécurité sociale exsangue présentant plus de 10 milliards € de dettes ou des complémentaires santé qui accepteront sans rechigner de doubler leurs remboursements sans contrepartie ?

Les clauses de revoyure seront strictes pour éviter tout « débordement » en la matière  et ce qui a été décidé lors de la dernière séance de travail sera appliqué scrupuleusement à savoir qu’au delà d’une augmentation des dépenses de 10% les 2 premières années puis 5% les suivantes, une négociation sera ré-ouverte afin de sortir, à coup sûr, les actes les plus coûteux du panier RAC zéro pour les transférer dans le panier RAC maîtrisé, ou bien au choix, diminuer drastiquement les plafonds d’honoraires afin de permettre un rééquilibrage financier.

Au final, dans ce panier RAC zéro, il ne restera que quelques actes comme la couronne métallique sur les molaires ou les appareils complets résine. Entre temps le panier RAC maîtrisé aura accueilli 70% de nos actes prothétiques et le panier libre sera oublié car le remboursement sera tellement faible que le patient n’aura pas d’autre choix que d’opter pour une solution moins disante.

Ce vendredi, il n’y aura aucun changement notoire dans ce plan machiavélique qui mettra un terme à un exercice libéral comateux. Un petit plafond rehaussé de 10 euros par ci et un remboursement d’un soin majoré de quelques euros par là et l’affaire sera pliée. Sans oublier, bien entendu, un petit rappel de la menace qui nous guette, si d’aventure nous avions des envies de rébellion.

La majorité d’entre nous pourrait tenir encore 10 ans, sans investir de manière inconsidérée et en pratiquant une dentisterie  « efficiente » si chère à certains, mais que se passera-t-il pour celles et ceux qui ont espéré pouvoir soigner selon les données actuelles de la science et investir dans une dentisterie moderne et innovante ?

Il paraît que le pessimisme ambiant sur les réseaux sociaux, qui effraie tant nos détracteurs, n’est pas justifié, nous nous contenterons donc  de leur souhaiter bonne chance….car ils vont en avoir grand besoin.

 

Patrick SOLERA
Président de la FSDL